Soumis par reza le May 18

1.3.6. L’autonomisation économique des femmes

Bien que le taux d’activité féminine dans l’espace UEMOA soit l’un des plus élevés au monde, variant de 39,9% pour le Niger à 80,7% pour le Togo et  une moyenne régionale de 62,7% en 201416, il est associé à des taux élevés de pauvreté et à la faible rétention des jeunes filles dans le système éducatif. La situation de précarité financière oblige les femmes à occuper des activités économiques de survie. Les jeunes filles sous-scolarisées viennent joindre les effectifs d’emplois précaires afin de contribuer aux revenus du ménage. Les taux de participation économique des femmes  élevés traduisent paradoxalement une faible contribution productive en raison de la faible valorisation des activités exercées, de la non-prise en compte des emplois du temps multiples des femmes et de leur forte implication dans des activités économiques non marchandes moins valorisées et moins productives en apparence souvent non comptabilisées dans les statistiques nationales. 

L’agriculture, secteur dominant dans la plupart des économies ouest-africaines et employant la plus grande force de travail et le tissu industriel de la région, est dominée par l’existence d’un nombre important de micros, petites et moyennes entreprises opérant dans le secteur informel17. En outre, près des deux tiers des femmes actives sont concentrées dans l’agriculture, le plus souvent dans les exploitations familiales à titre de main-d’œuvre non rémunérée. Le secteur informel occupe une place importante dans l’emploi des femmes, et le secteur formel de l’emploi salarié connaît une faible progression.18 Toutefois, bien que la proportion des femmes et des jeunes filles économiquement actives soit importante, elles sont cantonnées dans les emplois les moins bien rétribués, les moins qualifiés et les plus précaires. 

Dans le secteur agricole, la productivité du travail des femmes est aussi entravée par leur accès limité aux facteurs de production (terre, intrants, outils et crédit) et aux services de vulgarisation agricole. La faible reconnaissance du travail des femmes dans l’agriculture, la transformation alimentaire et le commerce, le peu d’opportunités qui leur sont offertes pour améliorer la rentabilité de leur travail et leur faible pouvoir d’influence sur les décisions des ménages sont autant de contraintes qui les maintiennent dans la pauvreté. 

Les emplois dans l’économie informelle, représentant 76% des actifs, permettent cependant aux femmes de concilier un emploi et les responsabilités familiales non rémunérées qui leur sont assignées. Mais ces emplois génèrent de faibles revenus, les conditions de travail y sont mauvaises et la protection sociale est quasi inexistante. C’est le secteur le plus féminisé puisque 53% des actifs informels sont des femmes. Les villes de Lomé et de Cotonou arrivent en tête avec un taux de féminisation égal à 60% contre 55% à Abidjan et entre 46 et 51% à Dakar, Ouagadougou et Bamako. De par sa vitalité, le secteur informel constitue cependant un vivier pour l’émergence de petites entreprises qui génèrent de plus en plus d’emplois réels et durables particulièrement pour les femmes et les jeunes. Toutefois, ce secteur ne dispose pas encore de statistiques précises pour permettre une analyse approfondie du phénomène.

Par ailleurs, la situation des jeunes en Afrique de l’Ouest est une préoccupation grandissante au regard de leur taux de chômage qui figure parmi les plus élevés du monde. Par ailleurs, la situation des jeunes en Afrique de l’Ouest est une préoccupation grandissante pour lesquels le taux de chômage figure parmi les plus élevés du monde. Au Sénégal, une enquête de la Banque Mondiale a relevé un taux de chômage de 15% pour les jeunes en 2011. Selon la Banque Mondiale (2017), les jeunes représentent 60% de l’ensemble des chômeurs africains. Le chômage des jeunes est deux fois plus élevé que celui des adultes et les filles sont plus largement touchées19. La persistance du chômage chez les jeunes est coûteuse sur le plan du développement économique et social, perpétue la transmission de la pauvreté d’une génération à l’autre, et favorise les migrations clandestines, la délinquance, la violence, la toxicomanie et différentes formes d’extrémisme politique ou religieux. 

Les récentes crises monétaire et alimentaire ont frappé durement les pays de la région et ont mis en exergue l’importance d’augmenter la productivité et la compétitivité du secteur agricole en misant sur une vision globale du développement rural qui abrite la plus forte concentration de pauvres. Selon la Banque Mondiale, la crise économique mondiale aura des incidences plus marquées sur les possibilités d’emploi des femmes africaines ce qui aura pour effet de couper court à l’accumulation de capital par les femmes et de réduire leurs revenus individuels et ceux des ménages. Cette situation sera défavorable notamment pour l’éducation et la santé des filles puisqu’en cas de chocs, les parents ont tendance à mieux protéger les garçons que les filles en raison du statut social privilégié qui leur est assigné.

L’une des cibles de l’OMD3 était l’accroissement du pourcentage de femmes salariées dans le secteur non agricole en tant qu’indicateur de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes. Cette cible n’a pu être atteinte pour l’espace UEMOA ni pour l’Afrique en général du fait que les stratégies de croissance tirées par l’emploi doivent se focaliser à la fois sur l’agriculture et les activités non agricoles dans les zones rurales (réf. du rapport de progression des OMD). Il a été démontré que lorsque l’on permet à des femmes d’acquérir les mêmes niveaux d’instruction, d’expérience et de moyens de production agricole que les hommes, elles peuvent augmenter le rendement de certaines cultures de 22%20. Il faut aussi promouvoir une stratégie visant à accroître la demande de main-d’œuvre féminine en préconisant des politiques d’égalité des chances dans l’emploi public et veiller à ce que soient recrutés, dans le cadre de programmes de création directe d’emplois salariés, autant de femmes que d’hommes.

La contribution réelle des femmes à l’économie reste sous-estimée, peu visible et non comptabilisée ; ce qui limite le rendement et l’efficacité des politiques publiques mises en place pour assurer les besoins fondamentaux, accélérer la croissance et réduire la pauvreté. 

La forte activité économique des femmes de l’espace UEMOA ne pourra être une force susceptible de contribuer positivement à la hausse des taux de croissance économique que si la productivité et les conditions de travail sont améliorées. Il est donc important que les stratégies régionales d’augmentation de la production agricole et de recherche agricole (entre autres amélioration de l’accès au crédit, des intrants et des outils agricoles, des services de vulgarisation et de l’aide commerciale) prennent en compte leurs besoins.

De plus, un ensemble complexe de facteurs indissociables influent sur l’accès des femmes et des filles à l’éducation, aux services de santé, aux possibilités de formation et d’acquisition de qualifications à l’emploi (division du travail selon l’âge et le sexe, tâches domestiques et de reproduction sociale assignées aux femmes, disponibilité d’eau courante au domicile,  ressources du ménage tirées de leur travail, etc.). En outre, la prévalence de maladies (VIH, maladies infantiles, malaria, tuberculose) font peser un lourd fardeau sur les femmes. Tous ces facteurs empêchent les femmes de tirer profit des débouchés économiques non seulement en raison de leur pauvreté monétaire mais aussi de leur « pauvreté en temps ».

Plusieurs contraintes limitant l’accès des femmes à l’emploi et la productivité de leur travail dans l’agriculture et le secteur informel peuvent être levées grâce à des approches intégrées au niveau régional. Les politiques agricoles et commerciales, l’ouverture des marchés, les législations, les systèmes de taxation, la libre circulation des personnes et des biens, les infrastructures, l’amélioration du climat de l’investissement sont autant de leviers qui peuvent agir en faveur de l’autonomisation économique des femmes, de l’entreprenariat pour les femmes et les jeunes, de l’accès égal des femmes et des hommes aux ressources productives et de la baisse du taux de chômage chez les jeunes filles et garçons. 

16  Rapport de développement humain 2014.

17 Communauté Européenne – Afrique de l’Ouest. Document de stratégie régionale et Programme indicatif régional 2008-2013.

18 La part de l’emploi salarié en dehors du secteur agricole est passée de 24 à 29% de 1999 à 2007 pour l’Afrique Subsaharienne. Pas de données disponibles pour l’Afrique de l’Ouest ni pour l’UEMOA.

19 La rareté des données sur l’emploi et l’entreprenariat informels en Afrique constitue un obstacle majeur vu l’importance de ce secteur pour l’emploi des jeunes, selon Perspectives économiques africaines 2012.

20 International Food Policy Research Institute (2005) Women: still the key to food and nutrition security (Issue brief 33), Washington, DC.